Quelquefois, les interviews par mail reviennent trop tard à l'intervieweur pour être publiées, et se perdent tristement dans l'interzone, le void, le Nilfheim, ou d'autres endroits encore pires tels que le disque dur "Big Black" de vx... Mais, en bons techniciens cyber-vaudou que nous sommes, nous avons le pouvoir de les faire revenir des limbes ! LEVE-TOI et marche ET APPARAIS ! (merci à Géraldine d'avoir posé ces questions inhabituelles, et encore désolé d'avoir mis trop de temps à y répondre...)
Comment Punish Yourself aborde le thème de l'apocalypse/ la fin du monde/ le chaos/ le désordre?
vx : Dès le début, ça a été des thèmes récurrents, en fait plus que le
sexe et la drogue, mais c'est sûrement moins spectaculaire et ça a moins
marqué le public que le reste. On les a abordés de façon très variée, avec des
références plutôt hétéroclites. L'Apocalypse de Saint-Jean et son
folklore, le Gotterdammerung/Ragnarok et autres fin des temps
mythologiques (en incluant les super-héros, Watchmen est un
incontournable, par exemple), le chaos dans Warhammer 40k ou chez
Michael Moorcock, les décorums post-apo à la Mad Max... je suis autant
intéressé par l'esthétique religieuse sérieuse que par les séries Z, et
la musique qu'on produit a toujours été lez résultat d'un mélange
volontaire entre le grandiose et le grotesque, l'infini et le vulgaire.
On a des morceaux plus atmosphériques qui visent à recréer l'atmosphère
d'un monde agonisant, d'autres qui mettent le doigt sur la peur ou la
certitude d'une catastrophe imminente, d'autres encore qui traitent
d'"apocalypse intérieure" - ces moments où on sent sa personnalité
s'effondrer ou renaître, et encore beaucoup d'autres qui exaltent le
chaos. A tous les degrés possibles, du très sérieux au très parodique.
Pourquoi de telles thématiques? Est ce parce qu'elles expriment
quelque chose du monde actuel, ou est ce que c'est plus pour des motifs
artistiques? Est ce que le groupe a une démarche militante?
Rien à foutre du monde actuel, en tout cas d'un point de vue
"militant". La vraie vie est définitivement ailleurs. Gamin je lisais de
la science-fiction et de la fantasy au kilomètre, le chaos, c'était mon
paradis ! Sauf qu'il faut bien accepter un jour le fait qu'on est
prisonnier de toute cette médiocrité, passée et présente. Alors autant
en jouer ! Il ne s'agit pas de dénoncer les tares du système, mais de se
vautrer dedans. Je vois Punish comme ces personnages de fous/bouffons
sacrés/tricksters qu'on retrouve dans la plupart des mythologies et dans
les sociétés dites "primitives". Ils alternent la menace et la
plaisanterie, bonnes et mauvaises actions, langage ordurier et
révélations mystiques, jouent les intermédiaires entre les hommes et le
divin, sans qu'on sache jamais vraiment où ils se situent. De la même
façon, notre musique n'a vocation ni à décrire le monde ni à le changer,
mais à provoquer des sensations fortes. Le désir, la peur, la
fascination, la répulsion, la nostalgie, l'exaltation... ensemble ou
séparément. Les thèmes apocalyptiques se prêtent admirablement à
l'exercice.
Qu'est ce que vous souhaitez faire passer en abordant ces thèmes? Le
rire, la fête, le délire, quelle place est ce que ça a par rapport à ces
thèmes?
La fête est un charognard qui se nourrit de tout, le beau comme le
laid, l'attirant comme l'inquiétant. Nous aussi, vu qu'on aime faire la
fête. Et l'humour est évidemment présent. Rire de la fin du monde,
c'est comme rire de sa propre mort, nécessaire. C'est sûrement le seul
message qu'on veut faire passer : amusez-vous. De tout. Tant qu'il reste
quelque chose dont on peut s'amuser, une bouteille à boire, une
dernière danse. La part de moquerie dans tout ça est laissée à
l'appréciation de chacun...
Ironie, humour, second degré: comment articulez-vous ces dimensions avec les thèmes liés à l'apocalypse?
Peut-être qu'on en rit plutôt que d'en pleurer, pour exorciser,
chasser la peur - en tout cas c'est ce que dirait un psychologue un peu
paresseux. Mais peut-être aussi que la plaisanterie, le burlesque, sont
une forme de tribut : en riant de la Fin Du Monde, on l'envisage plutôt
que de nier sa possibilité... Ou peut-être tout simplement que c'est
réellement amusant ? Comme quand on rit en regardant quelqu'un tomber et
se faire mal.
Comment expliquer la fascination que ces thèmes suscitent à l'heure
actuelle? (Cinéma catastrophe, films de zombie, sectes millénaristes,
information-catastrophe?)
Ca n'a rien de nouveau, c'est une tendance cyclique - on a eu la
première vague de films de zombis il y a quarante ans avec Romero, les
films-catastrophe dans les 70's, il y une fin du monde annoncée à peu
près tous les trois ans par telle ou telle secte farfelue, le bug de
l'an 2000 aussi, c'était bon, ça. Fondamentalement c'est un thème qui
fascine une partie du public, pas besoin de sociologie de comptoir genre
"in vit dans un monde en crise d'où doutes et interrogations
blablaaaa". L'homme vit toujours dans le doute et la crise, et transpose
la hantise de sa propre mort à l'échelle de sa civilisation, ou du
monde. Probablement pour se consoler en se disant qu'il ne sera pas le
seul à partir... Ce qu'il y a de nouveau, c'est la sécularisation des
thèmes eschatologiques, le fait que la Fin des Temps échappe -
partiellement au moins - aux religions pour envahir la société jusque
(et surtout) dans ses loisirs. Et peut_être le fait qu'avec
l'accélération de la communication globale (surtout depuis internet) les
hantises des uns et des autres se propagent et se mélangent.
Enfin, comment expliquer que cette scène -la scène punko-indus-metal
soit plus développée en occident, voire spécifiquement en allemagne,
qu'ailleurs?
C'est le rock en général qui est plus développé en "occident" -
une fois ce constat fait, pas difficile de comprendre pourquoi
l'Azerbaidjan n'a pas ses Rammstein locaux ! Quant à l'Allemagne... En
ce qui me concerne, la scène allemande ne m'a jamais intéressé, à part
Einsturzende Neubauten qui sont des produits directs de la guerre froide
et du Mur de Berlin (pour caricaturer un peu) et n'ont d'ailleurs plus
grand chose à dire de nouveau depuis longtemps. Ah, si, Sielwolf... Mais
eux c'étaient des OVNIs. Et KMFDM un peu, mais ils n'ont plus grand
chose d'Allemand depuis vingt ans, non ? Ca fait peu de choses, si on
compare avec les Etats-Unis. Ou même la Belgique, ha ha... Je ne crois
pas que ce soient les conditions historiques ou sociétales du moment qui
donnent envie d'écouter tel ou tel genre de musique, ce serait trop
simple.
(interview : 2012. Illustrations : préhistoire.)